L’intérieur des heures

L’Intérieur des heures, Chantal Chawaf

338 p

des Femmes – Antoinette Fouque,

couverture du livre de Chantal Chawaf

Première page

« A perte de vue, la plaine. C’est trop tard. Il ne nous reste plus de confiance, plus rien. On a tout dépensé dans la souffrance, tout gâché à cause de la souffrance. On n’a pas pu s’améliorer. La souffrance a tout ravagé. Elle nous a paralysés. On ne bouge pas. On ne peut pas dépasser cette condition. On est maudit. On a l’impression de subir un destin. On se sent inutile, dérisoire. Notre vie, notre corps, notre intelligence, notre savoir ne nous servent à rien. Notre désir s’étiole… Et la plaine, oui, est immense. Plaine dépressive. Jamais on n’aura fini de la traverser. Au loin, les petits pavillons de banlieue resserrés sur eux-mêmes. Tous, laids, uniformes et précaires. Rien de notre vie ne durera. On est malade. Ce paysage est mental, détruit. Ici on ne construit pas d’avenir. « 

A propos de L'Intérieur des heures

« Il leur restait des jours, des semaines, des mois, peut-être des années encore à se vivre serrés l’un par l’autre dans l’étranglement de l’intérieur, dans le boyau de l’obscurité où ils se confondaient l’un dans l’autre, où il n’y avait même plus de place pour un seul corps, seulement pour cette fulgurance qu’ils s’ingéniaient ensemble à prolonger jusqu’au contact exacerbé, jusqu’au dernier coin, au moindre repli où ils s’attiraient, où ils se plongeaient presqu’inconscients, où entre eux ne subsistait plus un atome de séparation. » C.C. Ainsi aux lisières du corps et du cœur, arpentées par les fictions précédentes, s’ajoutent celles du vécu social: richesse et pauvreté dans la communication du vécu. A l’ampleur, sensible parfois jusqu’au tragique, des voix féminines, s’oppose une sorte de sensualité frénétique et désespérée des hommes, ou au contraire la platitude voulue, bien sûr, de leurs dialogues. Souvent absents, brutaux, ils sont d’un certain côté de la plaine, préoccupés surtout par l’argent, mais on les voit également présents, acharnés à posséder des corps qui leur échappent. Ce roman pourtant n’est pas manichéen. Ce qui lie de façon étonnante ces soliloques, c’est le rythme, ce sont les modulations de la voix même de l’auteur. Lente, insistante, syncopée, elle ne ressemble à aucune autre.
La banlieue qui rythme L’Intérieur des heures de sa monotonie planifiée en âpres horizontales et verticales, comme un dessin de Buffet, est le noyau humain et inhumain de ce roman.
Joël Schmidt, Réforme, 19 décembre 1987