« Arrivant à l’air, le fœtus, encore trempé, encore aquatique, émerge des eaux de sa mère et la déchire dans un cri d’adieu.
Qu’ai-je conservé du commencement? Une famille réduite au jumeau d’une jeune femme morte en couches. Depuis la perte de mes deux parents dans mon enfance, je n’ai plus que mon oncle.
Je me rappelle un rêve : le manoir se profilait, minéral, sur une lande de métal. Je partais à la recherche de ma mère. Plus sa silhouette s’avançait vers moi, moins elle m’approchait.
Je me représente l’abandon, ses mains glacées que j’attrape pour les appliquer de force sur mon front, pour les introduire dans mon crâne congestionné, pour les forcer à me masser. Ma température ne baisse pas. L’abandon ne peut pas consoler. Il abandonne. L’abandonnée est enragée, elle est folle de chagrin. Elle a des convulsions, elle parle par cris d’oisillons sans nid, par chant de mésange affamée par l’hiver. J’ai envie de m’ouvrir les veines : mon oncle va se remarier.
En souvenir, j’ai glissé dans un sous-verre une page de cahier où, enfant, ma mère avait écrit : « Minette, elle a fait des bonbons pour le soleil parce qu’il pleurait. ». J’ai ajouté une photographie des jumeaux.
Le blanc, les broderies des taies d’oreillers et des dessus-de-lit des chambres du manoir s’estompent, la nostalgie a de moins en moins d’énergie. Où est mon enfance? »
A propos de Relégation
"Relégation de Chantal Chawaf, sublime ouvrage, à l’écriture sensuelle, se clôt sur le verbe « naître », point d’orgue flamboyant. La mort coule dans la vie, mais la vie l’emporte."